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Docteur Lilou et Mrs Black
le dernier voyage
Les funérailles de ma mère ont eu lieu cet après-midi. Toute proportion gardée, ça aurait pu être nettement pire.
Je suis allée chercher ma Loulou chez elles. Elle m'a offert un verre de jus de fruits, et on est parties en métro. Sorties de là, on a loupé le bus, et on est arrivées à l'endroit où se déroulait la chose avec un peu de retard. Débarquement familial maxi, oncles et tantes et compagnie. J'ai vu ma cousine Steph, ça m'a foutu un cafard dingue de la voir si triste. Elle aimait beaucoup ma mère. On est tous entrés dans une salle de cérémonie, très grande, avec le cercueil sur une estrade. Je me suis mise tout devant avec mon père, mon frère, Soso d'amour et ma Loulou. L'avantage d'être devant, c'est qu'il n'y a personne qui puisse se retourner pour voir votre tête. On s'est recueillis un moment en silence, et c'était ça le moment le plus oppressant. Je repensais à ma mère, telle qu'elle était quand j'étais gosse, quand je me quichais sur ses genoux pour gratter les grains de beauté qu'elle avait dans le cou parce que je pensais que c'étaient des taches de je ne sais quoi. Soso d'amour a pleuré, et moi, j'ai serré la main de Loulou très très fort. Au bout d'un moment, on est sortis pour que ce qui devait se faire puisse être fait. On est allés dans le hall où il y a un tas de fauteuils. J'ai vu la kiné qui s'occupe de mes parents, et j'ai trouvé tellement gentil qu'elle soit venue que j'en ai pleuré un peu. J'ai ramassé ma tata S. à la petite cuillère, elle a dit des tas de choses très tristes, et puis ma tata C. est venue me dire un tas de conneries, comme quoi maintenant, il fallait que je vive ma vie, que je rencontre un gentil garçon et que je peuple la planète de ma descendance qui rampe et qui bave. Ce genre de discours m'a toujours donné envie de sortir mon bazooka pour tirer dans le tas, mais comme ma cervelle moulinait dans le vide, je me suis contentée de hocher la tête avec force "vivivi, d'accord" pour aller avec. On est sortis, j'ai papoté avec ma cousine Steph, puis avec toutes les autres cousines qui avaient débarqué entre temps. Bon, ça mangeait pas de pain, mais les cousines du côté de ma mère, j'ai plus rien de commun avec elles. J'ai parlé avec d'autres tantes, avec des copines de ma mère que je connais depuis longtemps. Et puis il y a eu la dispersion des cendres. Elles étaient dans un genre de seau percé, et le monsieur les a laissées se vider sous une espèce d'arche au milieu d'une pelouse verte. Et puis il a laissé un panier avec des pétales de roses, pour que ceux que ça intéressait puisse mettre des pétales sur les cendres. Mon frère a été très digne. Il en a posé quelques uns, et puis il a sorti de sa poche un petit livre qui avait appartenu à ma mère, et qui contenait des citations de Robert Burns. Il en a lu une dans sa tête, et puis il est parti. D'autres gens ont mis des pétales aussi, moi, je m'en sentais pas cap. Alors Loulou et moi, on a salué la compagnie, et on a mis les voiles. On a fait un bout du chemin à pieds, le reste en bus, et on est allées boire un café. On a discuté de toutes sortes de choses. Et j'ai essayé de mettre des mots sur ma vision de la mort. Je ne crois pas en Dieu, et en soi, les funérailles en elles-mêmes ne m'ont pas flanqué le cafard que j'escomptais. Parce que pour moi, la dépouille mortelle de ma mère ne représentait rien. Ce qui faisait qu'elle était elle, son âme, sa vie, était ailleurs, dans un endroit dont personne ne sait rien, et qu'on ne pouvait pas atteindre. N'empêche. Je ne pouvais pas m'empêcher de regarder d'un œil torve la cendre de ma cigarette. Une page s'est tournée. Un événement que j'ai craint pendant un an et demi est arrivé. Je dois faire face. Je dois survivre. Parce que c'est ce qu'elle aurait voulu. Ecrit par calimera, le Lundi 11 Avril 2005, 22:07 dans la rubrique "quotidien, poil aux mains".
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